La Pitié dangereuse : chef-d’œuvre littéraire et théâtral
La Pitié dangereuse De Stefan Zweig Mise en scène et adaptation de Simon McBurney Avec Robert Beyer, Marie Burchard, Johannes Flaschberger, Christoph Gawenda, Moritz Gottwald, Laurenz Laufenberg, Eva Meckbach Du 14 au 24 septembre 2017 Réservation en ligne Durée : 2h Les Gémeaux, dans le cadre du Festival d’Automne et avec le Théâtre de la Ville RER B, arrêt Bourg-la-Reine |
Du 14 au 24 septembre 2017
Dans une éblouissante adaptation du seul roman achevé de Stefan Zweig, le metteur en scène Simon McBurney dirige avec maestria les comédiens de la Schaubühne de Berlin. La voix du narrateur, démultipliée en une myriade de personnages, s’en trouve magnifiée et le propos servi par une sophistication technique assez extraordinaire. Une rentrée théâtrale en beauté proposée par le Festival d’Automne. Un feuilleton mélodramatiqueC’est l’un des plus puissants récits de l’écrivain autrichien, celui qui remporta en Amérique et en Grande-Bretagne, en 1939, le plus important succès critique et commercial. Seul roman achevé de l’auteur qui, terrassé par la mainmise d’Hitler sur l’Europe, prit la nationalité britannique avant de se suicider avec sa femme en 1942 au Brésil, où il s’était installé. Le récit procède par des mises en abyme successives : Zweig lui-même raconte sa rencontre à Vienne en 1936 avec un officier militaire, un certain Hofmiller. Ce dernier n’a pas oublié une histoire terrible, celle qu’il a vécue en 1914, alors qu’il était un tout jeune officier épris d’héroïsme et qu’il fut introduit dans la maison Kekesfalva, celle d’un riche propriétaire terrien dont la fille unique, Édith, était paralysée. La confusion des sentiments Sur le grand plateau du Théâtre des Gémeaux, les sept comédiens de la Schaubühne sont sur scène. Il y a juste un bureau, une bibliothèque, un pupitre et une table, accessoires on ne peut plus sommaires, à l’opposé de l’univers aristocratique de l’Empire austro-hongrois du récit. Pourtant, dès lors que le récit se met en place, ce sont alternativement tous les comédiens, sonorisés par le biais d’une extraordinaire technicité, qui prennent la parole, en même temps qu’ils jouent les autres personnages ou pas. L’impression, au fil d’une tension dramatique qui joue sur une succession de conflits, est celle d’un orchestre, d’une polyphonie de voix qui se mettent à exprimer les personnages, avec des consciences totalement tourmentées. Une enfilade de masques et de secrets D’une manière hallucinante, le metteur en scène et ses comédiens virtuoses multiplient ainsi les points de vue, parfois dans une même scène. Le héros, Hofmiller, se met à fréquenter une jeune fille paralysée, après une première bourde, parce qu’il ressent envers elle une incompressible et enfantine pitié. Empêtré par cette pitié comme un poison gluant, il n’a d’autre choix que de se faire aimer d’elle, sans l’assumer vraiment. Jeux de lumière, bande-son cinglante, comédiens se changeant à vue et engagés de tout leur corps dans des situations rocambolesques, extrêmes, le spectacle éblouit par une simplicité physique doublée d’une maestria technique. On suit, crispé, l’ambivalence du héros tiraillé entre sa vanité et sa mauvaise conscience, la douleur du père de la jeune fille, un “petit Juif à la poitrine étroite et aux yeux vifs”, orphelin, qui devint riche propriétaire terrien à la frontière hungaro-slovaque, encore prisonnier de son secret, ainsi que la clairvoyance redoutable du docteur. L’enfilade de secrets, de non-dits, de faux-semblants qui peuplent cette société corsetée et militaire est remarquablement rendue ici, par des tableaux haletants et striés de noirs. Car le théâtre ici nous atteint, comme le roman, au plus profond de notre conscience et de nos affects, fouettant notre complaisante culpabilité, tiraillant notre ambition et débusquant nos échappatoires. C’est magnifique. Hélène Kuttner Photos © Gianmarco Bresadola] |
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